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Guerre de Gaza : pourquoi le discours russe dérange-t-il l’Occident ?

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Des enfants palestiniens se réchauffent autour d'un feu devant leur tente de fortune dans un camp installé dans une cour d'école à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 13 décembre 2023. ©AFP

Par Ghorban-Ali Khodabandeh

Depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas, les publications se multiplient dans les médias occidentaux pour décrier une Russie profiteuse de cette guerre. Une tendance qui trahirait la perte de vitesse du discours occidental face à l’émergence d’un contre-discours, ainsi qu'un malaise face à la violence de l’agression israélienne à Gaza.

Depuis le 7 octobre, la Russie est régulièrement accusée d’utiliser le conflit de Gaza pour avancer ses pions afin d’affaiblir l’ordre mondial occidental, comme le faisait l'agence Reuters mi-novembre, ou de tenter de détourner l'attention de la guerre en Ukraine, comme l'estimait la BBC peu de temps auparavant.

Pourtant, depuis le début de la guerre de Gaza, Moscou dit promouvoir une approche équilibrée face au conflit. Le Kremlin appelé à un cessez-le-feu, répétant qu'une paix durable au Proche-Orient passait par la création d'un État palestinien. La Russie n'a par ailleurs jamais fermé la porte au Hamas, accueillant à Moscou, en octobre, une délégation du mouvement de résistance islamique, une démarche qui a suscité de vives critiques israéliennes et occidentales. 

Le choc des discours, entre l'Ouest et l'Est, apparaît comme évident et la frénésie face à de supposées « campagnes de désinformation du Kremlin » reste vivace en Occident. Ainsi la tentation y est-elle grande de s'en prendre, dans les médias mainstream, aux voix dissonantes, et donc aux médias russes, pourtant déjà interdits de diffusion dans l'Union européenne depuis mars 2022.

Les États-Unis, responsables des tensions actuelles dans la région et complices des tueries excessives à Gaza

Si l'Occident mené par les États-Unis cherche tant à contrôler le discours autour du conflit à Gaza, c’est surtout pour dissimuler sa responsabilité: ce sont essentiellement les États-Unis qui ont œuvré dans ce domaine depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La Russie a de surcroît dénoncé le « sabotage » de Washington du processus de paix au Proche-Orient depuis plusieurs décennies, appelant à un rôle accru des acteurs de la région : « Aux problèmes régionaux des solutions régionales », résumait ainsi le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov le 27 novembre dernier.

Moscou entend en effet accompagner la montée en puissance du « Sud global » dans un ordre multilatéral. « Un monde qui est plus grand que le seul Occident », résumait le ministre russe. Un discours qui dérange, à Bruxelles et Washington.

Lors de la réunion virtuelle du groupe BRICS, le président russe a dénoncé la politique du gouvernement américain comme la raison de l'escalade des tensions à Gaza.

Le dirigeant russe a accusé les États-Unis de torpiller les efforts de médiation visant à un cessez-le-feu et à une résolution pacifique du conflit.

« Tous ces événements sont essentiellement une conséquence directe de la volonté américaine de monopoliser les efforts et les fonctions de médiation dans le règlement du conflit israélo-palestinien et de leur blocage des activités du Quartette de médiateurs internationaux pour le Proche-Orient », a-t-il poursuivi.

La situation dans la bande de Gaza est un désastre humanitaire qui suscite de profondes inquiétudes, a-t-il fait valoir: La mort de milliers de personnes, les expulsions massives de civils et la catastrophe humanitaire en cours dans la bande de Gaza sont une source de profonde préoccupation.

Dans des propos que certains ont jugés particulièrement cinglants, Poutine a comparé le siège israélien « inacceptable » de Gaza au siège nazi de Leningrad, ce que d’aucuns ont interprété comme une analogie implicite entre Israël et l’Allemagne nazie.

Inversion accusatoire et campagne de calomnie contre la Russie

Washington s'est fait fort de tenter d'isoler Moscou, en prenant la tête d'une large coalition internationale en défense de l'Ukraine, mais le conflit entre Israël et le mouvement palestinien Hamas a tout d'un piège pour la diplomatie américaine. L’enjeu dépasse la simple relégation du dossier ukrainien dans la hiérarchie de l’information des journaux télévisés. Il y va des efforts produits par les Occidentaux depuis février 2022 pour isoler la Russie et rallier à leur cause les pays désignés comme appartenant au Sud global. Ces efforts sont en passe d’être balayés, tant dans les opinions publiques qu’auprès d’un certain nombre de gouvernements, au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie, en Amérique latine. En d’autres termes, sur le dossier israélo-palestinien, le spectre de l’isolement place sur le bloc occidental.

Force est de constater que les États-Unis ont historiquement toujours été relativement isolés dans leur soutien à Israël, même si, pour l'instant, les alliés européens rejoignent largement le président américain Joe Biden dans son soutien indéfectible à l'allié israélien.

Ainsi, la plupart des récentes tribunes antirusses occidentales tiennent ni plus ni moins que de l’« inversion accusatoire », et d’un malaise de vis-à-vis de la violence destructrice de l’armée israélienne contre la population civile de Gaza.

Selon les chiffres mis en avant par l’ONU, les pertes civiles infligées en quelques semaines de bombardements israéliens incessants sur Gaza, qui ont dépassé 18 000 morts, auraient dépassées celles enregistrées, durant près d’un an et demi d’affrontements en Ukraine et dans les régions russes frontalières.

En apportant un soutien sans failles à Israël dans sa guerre contre la bande de Gaza, les Occidentaux ont suscité la colère des pays arabo-musulmans et de nombreux pays du Sud ralliés à la cause palestinienne. Mais au-delà de cette ligne de fracture, traditionnelle, les divisions s'accentuent désormais aussi au sein du monde occidental au fur et à mesure que la situation humanitaire à Gaza se détériore.

 La guerre de Gaza, révélatrice du rapprochement de la Russie avec l’Iran et ses alliés

Dès les premières heures du confit entre la Résistance palestinienne et Israël le 7 octobre 2023 et l’annonce du soutien « inconditionnel » des États-Unis à l’entité israélienne, de nombreux commentateurs sont venus souligner le gain politique et militaire que la Russie tirait d’une telle guerre, loin du conflit en Ukraine dont les autorités bénéficiaient, jusqu’à maintenant, d’un substantiel soutien européen et nord-américain.

Le positionnement russe à l’égard de ce conflit ne se résume pas, toutefois, aux seuls impacts que ce dernier occasionne sur l’avenir de la guerre en Ukraine. La réception dans la capitale russe de responsables du Hamas, le refus russe de qualifier le mouvement palestinien de « terroriste » et les condamnations répétées des opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza sont venues démontrer une distanciation progressive de Moscou à l’égard de Tel-Aviv et un rapprochement concomitant avec les opposants à Israël, au premier rang desquels le Hamas et ses alliés au sein de l’axe de Résistance.

Le ton du positionnement diplomatique de Moscou à l’égard du conflit israélo-palestinien semble avoir été donné par Andrei Gurulev, député russe et membre de la commission de la Défense qui a déclaré, le 14 octobre : « Qui est l’allié d’Israël? Les États-Unis. Et de qui l’Iran et le monde musulman sont-ils les alliés? De nous».

De fait, une tendance à la distanciation russe à l’égard d’Israël semble à l’œuvre à l’aune de la guerre de Gaza et la proximité entre le Hamas et Moscou semble se dessiner depuis plusieurs mois et tend à démontrer, plus largement, le rapprochement de la Russie avec l’Iran et ses alliés dans la région.

Ce rapprochement fait partie d’une stratégie, bien plus large, orchestrée par la Russie visant à s’imposer comme l’allié incontournable du « Sud global », c’est-à-dire des pays et acteurs internationaux désireux de changer l’ordre politique et économique mondial dominé par les États-Unis et leurs alliés.

 

Ghorban-Ali Khodabandeh est un journaliste et analyste politique iranien basé à Téhéran.

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SOURCE: FRENCH PRESS TV